Caprice de l’effort rythmique
J’imagine le geste hasardeux et cependant précis qui se jette dans la bataille. Je crois que l’exécution doit être rapide – pas de reprise, pas de repentir possible. Le geste est vif, sans doute rageur parfois. Chaque touche est comme un coup de dé. Le mouvement s’accélère. Vient la pluie du pinceau, instants fugaces où les couleurs qui se déposent sur la toile ou le papier se côtoient, se parlent, se répondent, se mêlent et s’entremêlent, se recouvrent et transparaissent dans une turbulence de tensions. Sans perdre son élan, impatience et patience associées, celle qui peint s’abandonne, consent à ce qui vient, se laisse guider par ce mouvement fiévreux, élan sans retenue et sans précaution qui outrepasse la forme. Le geste s’empare de lui-même, il s’auto-affecte, s’affirme, créé sa logique propre, son organicité et le désordre apparent trouve dès lors son rythme, sa respiration singulière. Par ce tumulte de couleurs et de formes oscillantes qui se font et se défont, Anne Moser nous invite à un spectacle mouvant, à une danse du regard.
des figures en suspend — en train de se faire
On devine un paysage. Sans doute le paysage d’origine offre-t-il son assise, la structure, l’architecture, la composition du tableau mais bien vite il se retire, il s’éclipse. Ce paysage qui s’abstrait laisse alors toute la place au seul geste de peinture désormais émancipé, libéré de sa source. Un tableau n’est jamais le simple redit de la nature, c’est une rencontre, une attention, une émotion.
Elle vient se ressourcer auprès du motif, regarde longtemps – intensément.
Et plus elle regarde plus ce qu’elle perçoit perd l’assurance de sa forme et se défait.
Elle regarde encore – jusqu’à en perdre la vue.
Ce regard qui insiste s’hallucine, il se fait vision. Le paysage se met en mouvement, il miroite, entre en vibration. C’est cela qu’elle capte et qu’elle nous offre : l’aura, l’émanation des choses, leur souffle, leur incandescence.
comme si ce que se déposait sur la toile était la mémoire d’un éblouissement
comme si la couleur jetait sa lumière sur toute les formes de sorte que les formes disparaissent et deviennent des éclats…
(Il faudrait dire quelques mots sur la transparence des couleurs, leur matière légère et voilée translucide. Les couleurs se juxtaposent, les plans s’interpénètrent, brouillant ainsi les frontières, rendant indistinct le proche et lointain. Les couleurs semblent très diluées, parfois gorgées d’eau et cela nous révèle une réalité diaphane, suspendue, une réalité de rêve qui n’est pas toutefois exempte d’une violence larvée, sous-jacente.)
Pierre Antoine Villemaine, philosophe-poète, 2021