La pratique du moulage en sculpture est souvent sujette à polémique dans l’art actuel. Ses détracteurs reprochent notamment à celui qui l’emploie de ne pas faire œuvre de création. Ils dévalorisent ainsi à la fois l’œuvre achevée et le travail du sculpteur. Pourtant, les sculptures qui ont été réalisées partiellement en faisant appel au moulage, sont extrêmement diverses.
Comme pour tout autre technique la créativité de l’artiste n’est en rien limitée. Si l’on considère la représentation du corps humain, l’artiste choisit son modèle, la posture, les accessoires, les matériaux, les interventions sur le moule ou sur le tirage, les écarts de matières, de couleurs ou de volume, et la mise en scène de l’œuvre achevée. Mais si l’utilisation du moulage est plus facilement admise quand elle fait l’objet d’un emploi ponctuel, elle est refusée quand elle assure visiblement l’essentiel de la fabrication.
Aussi les artistes eux-mêmes sont-ils parfois réticents à parler de cette technique comme étant la leur. S’ils ne la pratiquent plus, ils l’oublient très vite et ne la revendiquent pratiquement jamais. L’exposition « L’empreinte » qui s’est déroulée au Centre Georges Pompidou au printemps a montré la diversité des emplois de l’empreinte. Yves Klein a fait mouler les bustes de trois de ses amis. Guiseppe Penone a inséré dans ses installations, des frag-ments de corps moulés. César a plusieurs fois travaillé à partir d’empreintes, celles de son visage, d’un sein, d’un pouce. Robert Malaval, Bruce Nauman, Guilio Paolini, Tetsumi Kudo, Krasno, et bien d’autres, se sont servis de l’empreinte corporelle de fort différentes manières. Mais les sculpteurs représentant un corps entier réalisé à partir d’un moule sont plus rares, John De Andréa, Duane Hanson, Edouard Kienholz, Georges Segal, Malcom Poynter et les superhumanistes anglais sont certainement les plus reconnus. Il faut bien admettre que la pratique de cette technique n’implique pas d’esthétique unique et que les œuvres n’appartiennent aucunement à une seule tendance artistique.
Dans l’œuvre de Gérard Bignolais, la prise d’empreinte corporelle est le moteur même du processus de création. Le moulage est un moyen d’obtention une sorte de double du modèle de référence. D’évidence, il s’agit avant tout de privilégier la figuration dans l’œuvre finale.
Comme toute technique, le moulage nécessite des compétences qui ne sont acquises qu’avec une forte expérience. Mouler n’est pas à la portée de tous et prendre l’empreinte d’un corps humain demande un réel engagement physique et technique. Chaque acteur de la prise d’empreinte ne sort d’ailleurs pas indemne de cette expérience, qui est un moment unique et intense. Les modèles doivent être « préparés » physiquement et psychologiquement pour supporter d’être enfermés partiellement ou com-plètement dans la coque de plâtre. Leurs réactions sont souvent imprévisibles. Le corps répond parfois, sans contrôle possible, à cette situation, et chacun vit différemment sa » re-naissance » lors du démoulage. Une part de la personnalité du modèle s’inscrit dans l’œuvre, de même qu’une part du climat psychologique régnant lors de la prise d’empreinte
Une fois la sculpture réalisée, se pose le problème de la ressem-blance ; essentiellement pour le modèle, qui se reconnaît ou non, qui accepte de montrer un état de lui-même qui déjà n’existe plus, qui pour la première fois se voit de dos, vraiment en trois dimensions. En fait, l’œuvre achevée déborde le double vers un être typique et la ressemblance à une personne existante reste toujours imaginaire. Ce qui est visible, c’est l’écart entre la sculpture et l’image du corps humain intellectualisée par le spectateur. Sur ces écarts vient en partie s’accrocher la signification de l’œuvre.
Dans une première période, les statues de Gérard Bignolais étaient tirées en pierre reconstituée monochrome, blanc cassé.
La sculpture, alors tirage unique, garde du modèle ses dimensions et son volume. La taille humaine lui confère une présence très forte, forcément remarquable, dans une exposition. Le visiteur est confronté à la statue non seulement par le regard mais par son corps entier. La comparaison, l’identification ou le rejet sont immédiats. Les personnages de Gérard Bignolais ont longtemps été présentés dans une mise en scène particulière, recréant un espace réel ou constitué à partir d’éléments trouvés sur le lieu d’installation. Une chambre d’hôpital fut souvent évoquée. Les lits, chaises, tables d’opération étaient des supports, appropriés aux postures des sculptures, qui renforçaient le réalisme souhaité. La nudité s’opposait à l’ensemble des objets présents, qui dataient la scène, ainsi qu’à l’idéalisation dont elle est habituellement l’objet. Une autre réalité de la beauté, plus vraie et moins souvent montrée, était proposée.
Ensuite, Gérard Bignolais a supprimé la présentation sous forme d’environnement, pour exposer ses sculptures de manière plus traditionnelle, isolées sur un socle. Les thèmes ont également été renouvelés, de même que les postures. Précédemment, les sculptures, le plus souvent couchées ou assises, ont dominé pour laisser maintenant place à celles debout. L’impact est d’autant plus fort que le personnage est en mouvement et donné pour représentation d’être vivant.
Dans un second temps, le sculpteur a abandonné l’utilisation de la pierre reconstituée au profit de la terre cuite. De ce fait, les sculptures ont diminué de taille, puisque la terre, en séchant et en cours de cuisson, rétrécit de 8 à 10 %. Les œuvres demandent donc à être légèrement surélevées et sont ainsi présentées de manière classique. La couleur est maintenant extrêmement présente, tout comme les jeux de matières qui repoussent la vision réaliste du corps. La juxtaposition de terres différentes, révélées par une savante cuisson, permet d’obtenir dans la masse, des colorations et des matières, variant du gris cendre à l’ocre.
Les crevasses, les fentes deviennent des blessures révélées par le feu et qui parlent plus de la souffrance du corps que de l’absence de bras ou de pied. Le corps fragmenté est lu, par habitude, depuis le XIXe siècle, comme représentant le corps entier, sans signifier nécessairement la douleur ou la torture. La transposition des statues en terre les éloigne de la réalité. La souplesse initiale du matériau transparaît parfois, exagère une torsion ou ramollit un mouvement. Autant de signes, non réalistes, qui individualisent le personnage et renforcent le sentiment d’étrangeté face aux détails précis, quasiment hyperréalistes, qui, ponctuellement, sont restitués de l’empreinte.
Si la technique d’empreinte est restée identique, le changement de matériau de tirage a considérablement fait évoluer l’œuvre du sculpteur. Et les possibilités d’expression offertes par la terre renouvellent son œuvre.
Nicole Crestou