Gérard Bignolais est un ravisseur de peau. Sourcier de la féminité, alchimiste du corps dont il entend ravir le mystère, il pratique l’empreinte corporelle sur le modèle nu. Les attitudes, les gestes, les expressions sont figés, arrêtés dans un temps impudique qui dit la complicité du modèle, sa soumission tout autant que le combat mené avec la douleur domptée, l’attente, la surprise, la peur face au vertige de l’inconnu affronté.
Si indécence il y a, c’est dans l’affolante vérité que Bignolais nous renvoie, cet autre devenu nous-même. Dans la matérialité subtilisée, il arrête notre vie, en dévoile le non-dit, celui de la chair de l’âme s’offrant dans son innocence comme dans sa complexité troublante. Et si nous sommes si troublés confrontés à ces hommes et à ces femmes, c’est que leur corps parlent. Miroir de l’éternel retour, cette mise à nu parle d’amour et de mort, d’attente et de solitude.
Parce que Bignolais est créateur et non anatomiste, il ne s’en tient pas au seul moulage qui n’est qu’une étape, même si elle reste déterminante dans sa démarche prométhéenne de sculpteur.
De cette seconde peau, il crée une humanité métamorphosée par la terre, par le feu qui entreprennent à leur tour d’en ravir les illusoires beautés soumises aux flétrissures corporelles des ans.
Son humanité à trois temps s’étend de 1980 à 2003. Dans un premier temps, ses femmes renaissent dans une pierre reconstituée dont le grès prend le relais. Chauffées à haute température, ces enveloppes de chair renouent avec la substance par la réaction chimique illuminant chaque visage d’un flamboiement toujours différent en fonction de la terre utilisée. Les sculptures récentes subissent deux cuissons, la seconde se fait à ciel ouvert, la fumée se répand sur les corps. Bignolais la maîtrise et l’oriente comme il ferait avec un pinceau. La lumière modèle les expressios de visage. De puissants éclairages contrastés momifient le corps marbré, vernissé.
Corps terreux, cendré, corps du crépuscule. Le réalisme vacille devant une fiction peut-être plus troublante. La mise en scène symbolique que Bignolais affectionne renoue avec un quotidien rédempteur.
Lydia Harambourg, octobre 2003